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La cessation de paiement vue par le tribunal de commerce de Casablanca

La jurisprudence du tribunal de commerce de Casablanca en matière de cessation des paiements

Par : Abdelkader AZARGUI, Docteur d’Etat en droit de l’Université de Grenoble

Dans un jugement du tribunal de commerce de Casablanca en date du 27/03/2000, jugement n° 116/2000, dossier n° 88/2000/10, il a été décidé que le fait que le passif d’une entreprise commerciale dépasse son actif justifie qu’elle soit soumise au redressement judiciaire du moment que sa situation n’est pas irrémédiablement compromise.

Cette décision judiciaire , qui n’est qu’une illustration de la position du tribunal de commerce de Casablanca, en matière de définition de la notion de cessation de paiement permet de retenir deux enseignements :

1- La cessation de paiement selon cette jurisprudence est constituée par le fait que le débiteur n’est pas en mesure de régler les dettes échues à l’aide de son actif en général et non seulement disponible.

2- Cette définition de la cessation de paiement fait de la cessation de paiement une notion se confondant avec la notion d’ insolvabilité.

La définition de la cessation de paiement selon la jurisprudence du tribunal de commerce de Casablanca :

Aux termes de l’article 560 du code de commerce :  » Les procédures de traitement des difficultés de l’entreprise sont applicables à tout commerçant, à tout artisan et à toute société commerciale, qui n’est pas en mesure de payer à l’échéance ses dettes exigibles, y compris celles qui sont nées de ses engagements conclus dans le cadre de l’accord amiable prévu à l’article 556 ci-dessus. ».

Cette définition fournie par cette disposition légale se trouve fidèlement reflétée dans la jurisprudence du tribunal de commerce de Casablanca, dans la mesure où celle-ci retient la cessation de paiement du moment que tout l’actif du débiteur composé des créances qui lui sont acquises et immédiatement recouvrables, les lignes de crédits mises à sa disposition et les immobilisations, les stocks ou les travaux en cours lui appartenant est inférieur à son passif. Cette définition est différente de celle adoptée par l’article 3 de la loi française du 25 janvier 1985 relative aux procédures de règlement collectif qui , elle, considère qu’il y a cessation de paiement dès lors que le débiteur se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible à l’aide de son seul actif disponible ; c’est à dire à l’aide de la partie de son actif constituée de la trésorerie et de toutes les sommes que le débiteur peut rendre disponibles ou avoir sans délai.

La définition de la cessation des paiements en droit Marocain conduit donc inévitablement à confondre état de cessation des paiements et insolvabilité. L’insolvabilité étant le fait de ne pas pouvoir honorer ses dettes exigibles au moyen de son actif dans toutes ses composantes, il ne fait aucun doute qu’en droit marocain , cette notion et la notion de cessation des paiements se confondent . Quel enseignement en tirer ?

A l ‘analyse, il ressort que le Droit marocain est moins sévère que le droit français quant à la définition de la condition de cessation des paiements qui justifie le recours au redressement judiciaire ou à la liquidation judiciaire, car en droit français il suffit que le débiteur n’ait pas les moyens immédiats de faire face aux dettes exigibles pour qu’il soit mis sous redressement ou liquidations judiciaires, alors qu’en droit marocain de telles mesures ne doivent être prononcées que lorsque le débiteur ne dispose pas de moyens immédiats et médiats pour éteindre des dettes exigibles.

D’où vient cette souplesse qui marque le droit marocain ?

Il semble que cette souplesse, outre le fait qu’elle soit suggérée par la formulation de l’article 560 de notre code de commerce, se justifie par la volonté consciente ou inconsciente de chercher à ménager les intérêts de nos entreprises; sinon notre jurisprudence aurait pu s’inspirer de la jurisprudence de la Cour de Cassation française ( Cass. Com., 14 février 1978; Bull . civ . IV, n.66) qui, avant même que la loi française de 1985 soit en vigueur en France, avait choisi de retenir une définition comptable de la cessation des paiements composée de deux éléments : le passif exigible et l’actif disponible au sens d’actif réalisable immédiatement ou à très brève échéance.

Cette souplesse est-elle garantie indéfiniment ? Il faudrait se méfier, car rien n’empêche notre jurisprudence d’évoluer vers une interprétation identique à celle de la jurisprudence Française citée ci-dessus, intervenue avant la loi de 1985, et donc rompre avec la flexibilité qui est de mise aujourd’hui.